vendredi 9 novembre 2012

Love is in the air


Cela fait des années que je vieillis inexorablement, je n'y peux rien, c'est comme ça. 
"Ora da Gaïxoa" disait ma vieille tante Yvonne filant allègrement sur son premier siècle.

Et cela fait des années également que je trouve toujours aussi gênant d'acheter des préservatifs. Je n'y peux rien...et tante Yvonne, qui était une vrai  vieille fille du XIXème siècle, n'avait pas trop d'avis sur ce sujet non plus.

Quel que soit le nom utilisé : capote, chaussette, condom, préservatif, je trouve qu'à chaque fois c'est une entreprise plutôt embarrassante que d'acheter ce genre de truc.
Je ne sais pas pourquoi.
De l'anti-poux, de la crème anti-hémorroïdes, cela ne me fait pas le même effet. 
Même des laxatifs, ça me fait moins chier. 
C'est dire.

Je ne sais pas pourquoi. 

Ce n'est pas tellement que lorsque je règle mon achat la vendeuse sait parfaitement quels sont mes intentions quant à l'utilisation que je compte en faire, peut-être m'évalue-t-elle l'air de rien quant à mes capacités, ou me compare-t-elle avec son précédent client...
J'suis pas du genre exhib, alors ce genre d'histoire c'est plutôt perso pour moi.
C'est gênant, on est pas des bêtes, enfin si un peu, mais ce n'est pas le genre de truc dont on parle à tout le monde d'habitude, non ?

Bref, par discrétion, je vais acheter mes capotes dans les endroits les plus éloignés de mon écosystème habituel.

Donc hier, je m'étais arrêté dans un centre commercial à l'autre bout de la ville pour acheter des trucs pour la maison quand j'ai réalisé que c'était l'endroit idéal pour refaire le plein de préservatifs, même si je n'avais pas de plans précis et immédiats concernant l'utilisation de ceux-ci. 
Vous savez comment c'est, ça rassure d'avoir des provisions, par les temps qui courent on se sait pas ce qui peut nous tomber dessus du jour au lendemain ma bonne dame....

Quoiqu'il en soit, la pharmacie était plutôt déserte, et j'ai pu choisir en toute quiétude, et discrètement, ce qui contribuerait certainement à mon bonheur. Mais le temps de me retourner vers la caisse, ma vie calme, planifiée, sereine, avait basculé en un pandémonium absolu par l'entrée subite d'un groupe d'ados attifées en mode Olé-olé-Halloween.

Cette situation était un peu agaçante mais j'ai eu un véritable coup de froid dans le dos lorsque j'entendis quelqu'un m'appeler par mon prénom. Cette anomalie thermique se transforma en apocalypse   lorsque, tournant la tête, j'aperçu Madame Lecollet s'agitant derrière la caisse de l'officine !

Putain, Madame Lecollet...

Comment dire...

Ça fait quoi ? Dix, onze ans ?

Comme un genre de prescription. 

Anne, ce n'était pas du sérieux.
Je ne sais pas pourquoi.
De façon même temporaire, je n'ai jamais eu de sentiments pour elle. C'était plutôt une occase, une première main certes, mais une occase quand même. Pour passer le temps, mais gentiment, sans prise de tête.
De toutes façons je pense qu'à l'époque nous étions plutôt immatures et que nous ne savions pas vraiment ce que nous voulions. 

Je me souviens avoir rencontré Madame Lecollet de façon tout à fait fortuite. Chez elle, alors qu'elle m'avait trouvé par le plus grand des hasards en train d'embrasser par inadvertance sa fille sur son lit.
Un truc improbable auquel on ne pense pas lorsque l'on est jeune et fougueux, et un peu con aussi.

Anne m'avait dit que sa mère voyait un psy, et prenait des médocs pour ses angoisses, et c'est vrai je lui trouvais un air un peu bizarre d'entrer comme ça sans prévenir, avec ses grands yeux ronds et sa bouche arrondie, et de repartir aussi vite en ululant un truc de vieille chouette folle dingue...

J'eu droit par la suite à des bribes de conversations déroutantes, avec Anne et sa mère, à propos de pilules, de préservatifs, justement, et de prévention.
Surtout des non-dits en fait, mais Anne m'a raconté que sa mère avait plusieurs fois pété les plombs avec elle sur ces mêmes sujets. Je crois bien qu'elle m'a même parlé de flagellation, ou un truc du genre.
Dieu merci, elles m'avaient épargné ces débordements saugrenus et délicats.


Franchement, Madame Lecollet, je me serais plutôt attendu à la retrouver en isolement dans un hôpital psychiatrique, plutôt que derrière la caisse d'une pharmacie....

Et là, faisant la queue au milieu d'ados qui n'attendaient qu'un signal pour faire voler en éclat mes valeurs humanitaires, je priais pour que Madame Lecollet ait été lobotomisée, que sa folie inquiétante ait été éradiquée de l'univers.
Tout ce que je voulais moi, c'était faire ma petite affaire rapidement et hop, ni vu, ni connu, reprendre mon chemin perlin pinpin....

T'as qu'à croire....

Mon tour arrivé, après avoir posé la boite sur le comptoir, j'hésitais à soulever ma main pour dévoiler la teneur de mon achat. Et tout de suite, je sentis que Madame Lecollet n'avait pas l'intention de m'agresser mais plutôt de discuter un peu, ce qui, l'un dans l'autre, me rendit encore plus perplexe.
Derrière moi, les quelques chipies qui attendaient leur tour, et leur copines déjà passées entre les fourches caudines de mon ex-futur belle-mère, ne se doutaient absolument que je vivais in live une  situation extrêmement gênante.

En mon for intérieur, je crois qu'à ce moment là je n'aurais pas du me plaindre...

Madame Lecollet semblait donc vouloir avoir une petite conversation, aussi décousu qu'il est possible, où elle mélangeait des propos concernant le train-train quotidien, le temps qui passe, et sa vie dénuée de sens...
Poliment, j’acquiesçais, prêt à toutes les compromissions pour abréger cet instant, mais derrière moi, bien vite, les minettes ne minaudaient plus... Elle s'impatientaient. Et lorsqu'elles remarquèrent la boite posée devant moi, chuchotèrent, gloussèrent, ricanèrent, cancanèrent. L'enfer pour mes nerfs. 
Deux autres adultes, certainement consentants eux, se tenaient également dans la file, et portaient également toutes leur attention sur mon achat. 

Le temps que je tourne la tête vers eux, Madame Lecollet prit ma boite de bandor et lança à la cantonade :
-  Mais c'est beaucoup trop grand pour toi ! Beaucoup trop grand !
Et la voila qui file, ma boite à la main en ajoutant :
- attends, attends, je vais te donner ce qui faut mon grand...

Hein????

Le monde aurait pu s’arrêter de tourner, cela ne m'aurait pas dérangé, bien au contraire, j'étais tétanisé. Un papillon de nuit bourré, face à un TGV lancé à pleine vitesse.

Les pisseuses autour de moi n'étaient pas loin de mériter leur qualificatif tant elles se marraient, même les deux consentants tanguaient tout gais.

J'hésitais un instant à hurler contre cette vieille bique, et ses allégations obscènes et mensongères sur ma personne, vieille sorcière sénile et vindicative, tout ça parce que j'avais laissé tombé sa fille, vraisemblablement pour son bien, une décennie plus tôt...

Une minute plus tard, la vieille salope revient :
- Tiens voilà, ça c'est mieux, me dit-elle en me tendant une petite poche en plastique, et tu salueras ta mère pour moi.
En fait, je me suis alors rendu compte qu'elle était simplement allée chercher un sachet plus petit pour mettre mon achat, en bonne mère pratique, écologique, innocente !

Je me suis alors senti extrêmement stupide d'avoir été aussi paranoïaque. Soulagé certes, mais un peu parti, un peu naze.
Les petites connes rigolaient moins tout d'un coup, mais j'ai pensé qu'il valait mieux ne faire comme si de rien n'était, et sortir de la boite de jazz en laissant les autres clients avec leur propre confusion et embarras.

Yeah.
Je me suis repris, la remerciais, et lui demandais de transmettre mes salutations à sa fille.

De façon tout à fait inattendue, à vrai dire je n'attendais plus grand chose à ce moment là, elle cessa de sourire, son regard devint étrange, froid, minéral, glaçant.
- Tu as brisé le coeur de ma fille. Et maintenant tu crois que tu vas la reconquérir avec un petit sourire et des petites paroles de niais ? N'y crois pas une seconde PERVERT !
Elle se mit à hurler :
- Elle est bien trop bien pour toi ! Tu t'es bien amusé hein ? Va utiliser tes préservatifs avec tes putes mais ne t'approche pas d'elle ! Espèce de sale type !

Je pense avoir connu alors l'expérience ultime de l'AVC furtif.

Cette soudaine agression verbale me prit totalement de court. 
Je partis illico prostré, sans demander mon reste, faut dire que j'avais déjà ma monnaie, mes préservatifs, et de quoi me couvrir pour supporter une nouvelle ère glaciaire...

Les ados étaient devenues hystériques, et l'une d'elle m'a même lancé un BRANLEUR ! tonitruant qui les a fait hurler de rire, alors que je m'éloignais le plus rapidement possible, un reste de dignité m’empêchant de m'enfuir en courant.

Sorti du centre commercial, j'ai récupéré ma voiture sur le parking, allumé une clope, et suis rentré chez moi vaguement dépressif.

Je sais pourquoi.

J'vous l'ai dit, je n'aime pas aller acheter des préservatifs.

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