mercredi 10 juin 2009

Amour factuel.

Un soir, j’ai revu Joanna.

Nous nous étions rencontrés quelques années auparavant en sortant d’un ascenseur, dans un bâtiment sordide de la fac. Elle était vraiment très belle dans ses habits.
Sans ses habits aussi probablement.

Nous assistions à un cours passionnant sur la géologie, délivré par un professeur surréaliste, littéralement enthousiasmé par des cailloux plutôt moches dans l’ensemble.

A la sortie du cours, elle était venue me dire qu’elle arrivait, dans ma vie, avec ses jolis yeux couleur sorbet curaçao, et qu’elle nous trouvait plutôt sympathiques, moi et mon jean troué.Le seul problème, c’est qu’à l’époque j’avais des engagements sentimentaux avec une princesse.

Et ce n’est pas facile de quitter une princesse.

Deux années se sont alors écoulées, à la fois frustrantes et enchanteresses.
J’aimais sa fraîcheur, l’image qu’elle me renvoyait. Ses mains aussi. Elle avait des mains merveilleuses. D’ailleurs, depuis cette époque je suis presque aussi sensible aux charmes digitaux qu’aux courbes sensuelles de mes collaboratrices.
Pendant un cours de peinture moderne, je l’ai même prise, sa main. C’était délicieux. On s’appliquait à faire comme si de rien n’était. Nos paumes moites sont restées collées pendant des heures (ils étaient super longs ces cours, mais du coup je suis incollable sur le cubisme & le futurisme). Et quand nos doigts se sont séparés, parce qu’il le fallait bien, nous nous sommes regardés longuement…Du genre on règlera ça un jour.

Et un soir, j’ai revu Joanna.

C’était devenu une femme. Moi j’étais toujours un gamin, mais habillé en homme.
Nous avions dîné dans un grand restaurant, avec tout un savant assortiment de bougies et de mobilier néo-nippon. Des tables basses, des tabourets cul-de-jatte, des gobelets et des coupes miniatures de bébé. Si petits et déjà pô né.
Dans la file d’attente, pour t’identifier, on t’affublait d’un sobriquet illustre. On avait hérité de “Shikoku”. Notre tour venu, le serveur avait l'air de penser en nous voyant :“Monsieur a l’air un peu constipé et très amoureux…madame beaucoup moins”.
Les serveurs sont comme les éléphants, ils doivent avoir un sixième sens.

Difficile de rapporter ici les propos échangés pendant le repas, j’étais plongé dans ses yeux lagons gazeux, y cherchant ce qui nous avait uni.
A un moment, je me souviens, j'ai repensé à une émission entendue à la radio, durant laquelle un type passait une petite annonce pour trouver la femme de sa vie, et il savait ce qu’il voulait le bonhomme : “faut pas qu’elle soit trop intelligente, ni trop cultivée”.
Quel con.
On va mettre ça sur le compte de la jeunesse, mais un jour il regrettera amèrement ses propos. Notamment quand il se rendra compte qu’une femme peut être intelligente et cultivée tout en faisant très bien la vaisselle.
Enfin moi j’y crois. C’est ce qui me fait tenir.

Je l’ai raccompagnée chez elle, stoppé la voiture au pas de sa porte, et nous nous sommes embrassés pendant des heures, avec le ralenti du moteur en musique de fond. Quand nos bouches se sont séparées, parce qu’il le fallait bien, elle m’a regardé longuement, et elle m’a sorti une phrase définitive, du genre “j’ai mes règles”. Puis elle a disparu.

Je suis rentré, j’ai quitté ma princesse, j’ai vendu mon château et mon cheval, j’ai acheté une moto japonaise. Et tant qu'il y eut du pétrôle, je vécus seul avec pas beaucoup d’enfants.

1 commentaire:

Lilas Rose a dit…

Difficile pour un homme de combiner pulsions sexuelles et romantisme ! Finalement, encore une fois pire que pour une femme !