vendredi 26 novembre 2010

L'homme le moins flexible du monde.

Sans vouloir me vanter, je suis quasiment certain de ne pas être l’homme le plus fort du monde.
Il y a de fortes chances également que je ne sois pas le plus rapide non plus.

En revanche, je pense pouvoir affirmer avec un indice de confiance proche de 99,9 % que si le livre Guiness des records avait une rubrique « l’homme le moins flexible du monde », j’y serai en bonne position. 

Il y a quelques années, suite à une intervention chirurgicale nécessitant une rééducation assez longue, mon kiné m’avait conseillé de m’inscrire dans une salle de sport, afin de bénéficier des appareils qui s’y trouvent. 
Aujourd'hui, j’y suis toujours inscrit, mais surtout afin de pouvoir profiter du sauna ou du hammam faisant partie également des installations disponibles.

Parmi les autres services proposés, il y a tout un tas de cours collectifs aux noms bizarres et pas très catholiques comme le Pilate, voir carrément hard genre Body Pomp, Body Attack, etc… 

Samedi matin, alors que je m’échauffais consciencieusement avant d’attaquer une séance de hammam, le haut-parleur du vestiaire annonça que le cours de Yoga de Marika allait commencer en salle bleue.
Je ne sais pas si c’est parce que, pour une fois, la discipline annoncée ne m’était pas inconnu et que j’entends parler depuis des années des bienfaits de cette technique, toujours est-il que je me suis décidé d’un coup, et me suis rendu dans cette fameuse salle bleue. 

Mal m’en a pris.
Je vous le dit tout de suite : si vous avez plus de 44 ans et que vous n’avez jamais essayé le yoga, n'y pensez même pas. Sauf si vous avez un petit faible pour le masochisme, à savoir aimer souffrir et être humilié en public.

Au premier abord, mon groupe avait l’air inoffensif : une dizaine de femmes de tout âge et tout tailles, et deux autres gars : un d’origine indienne, l’autre un jeune éphèbe efféminé. 

Instinctivement je me rapprochais du contingent masculin de cette troupe, à savoir l’indien, avant de m’apercevoir que j’étais le seul sans tapis de yoga, en maillot de bain, tee-shirt informe et troué, et en tong. Les autres avaient de chouettes survêtements, étaient pieds nus, avaient un tapis.

Rétrospectivement je regrette qu’il n’y eu pas de système d’alarme à l'entré de la salle qui m’aurait détecté comme intrus : Ouhhhh ! Attention, attention ! Un individu suspect tente de s’infiltrer dans la zone Yoga !

Marika, notre prof, avait l’air sympa et m’a tout de suite identifié comme le nouveau du jour.
Elle demanda mon prénom à la cantonnade « Et comment il s’appelle le nouveau ? », vraisemblablement pour me mettre à l’aise. T’as qu’à croire… 

Les autres me firent tous un sourire rapide, et qui m’a même semblé compatissant pour certains.
Là encore j’aurai du m’inquiéter.

Dés les premiers assouplissements, j’ai compris que mon statut le plus significatif n’était pas d’être le bleu de la salle bleue, mais de l’exemple à ne pas suivre...Tous, y compris les vieilles rombières laquées, étaient remarquablement souples. Ils arrivaient sans problème à tordre leurs membres afin de les emboiter naturellement dans des positions que je n’aurai jamais tenté, même lors de mes nuits les plus débridées. 

Marika d’ailleurs ne cessait de conspuer ma raideur, faisant remarquer d’une voix paisible que la position que j’adoptais tant mal que bien était l’exemple type de celle a ne pas prendre : « Regardez comment Eric a plié son pied gauche devant son genou droit : ne faites pas comme lui, c’est le meilleur moyen vous blesser… » 
Sur ce dernier point, je ne pouvais que reconnaître le bien fondé de sa remarque car je souffrais atrocement. 

Si un réalisateur en herbe désire faire une adaptation originale de la Divine Comédie de Dante, je lui conseille pour illustrer la descente aux enfers de Virgile et Dante de prendre la salle bleue pour décor, et Marika dans le rôle de Lucifer. 

Alors que je pensais au cerbère des enfers, Marika annonça justement que nous allions prendre la posture-du-chien-la-tête-en-bas (sic) :
« Soulevez lentement votre jambe droite (droite la jambe Eric !), jusqu’à ce qu’elle soit au dessus de la tête. Bien. Pivotez vos hanches de manière qu’elles soient à l’opposé de votre jambe droite, puis passez votre bras droit sous le bras gauche afin d’atteindre votre cheville gauche. 
Eric, pense à garder ta jambe gauche dans un angle à 90° par rapport à tes épaules ! 
Maintenant balancez vous doucement dans la position de la planche. Bien tout le monde. Respirez. 
Eric, tu es trop crispé ! Cool, zen ! 
Lentement allez toucher votre talon droit avec la main gauche. Bien, respirez. Faites pivoter votre bras droit derrière votre dos, soulevez votre jambe gauche, touchez votre omoplate. Très bien, respirez. » 

Selon mes calculs, à ce moment là, ni mes jambes, ni mes bras, n’auraient dû être en contact avec le sol. Seule la lévitation aurait pu m’aider à réaliser la figure demandée…

Tout le reste de la séance fut du même acabit.
Certains mouvements me rappelèrent une fin de soirée sur la banquette arrière de la 4L rouge de mes parents avec Suzan, une étudiante écossaise rencontrée dans un café à Pau en 1992, mais la plupart de temps cela ressemblait à une version sado-maso du jeu Twister : mettez votre main droite en bleu, votre pied gauche en jaune, etc… 

Je suis même sûr d'avoir déjà vu certain des exercices que Marika m’a fait faire lors d’un reportage sur les tortures infligées aux prisonniers de Guantanamo pour leur arracher des renseignements. D'ailleurs à un certain moment j’ai failli craquer, et avouer qu'à 13 ans j’avais effectivement volé de l’argent dans le sac de ma mère pour m’acheter un Playboy.

Finalement Marika eu pitié de moi, ou alors en a-t-elle eu assez, comme elle le fit élégamment remarquer devant son auditoire hilare, de voir mes couilles poilues dans l’entrebâillement de mon short.

J’étais en nage. Les autres avaient tous l’air frais et dispo, comme pour une pub de déodorant à la fleur de Ylang-Ylang… 

Naïvement je m’étais imaginé que le yoga m’aurait apporté paix, réconfort et délassement. 
Au lieu de cela, la seule partie de mon corps qui ne me faisait pas souffrir était le lobe de mon oreille gauche;  en fait le yoga sert à vous faire expier de tous les péchés que vous avez pu commettre par le passé. 

Je suis resté allongé un moment, incapable de remuer le moindre orteil.
Si je n’avais pas eu peur que Marika pense que finalement je voulais continuer, je serai resté là jusqu’à ce que l’agent d’entretien me ramasse. 

Le seul point positif est que j’avais survécu à ce cauchemar avec une détermination insoupçonnée, vraissemblablement poussé par l'instinct de survivre afin de pouvoir embrasser mes enfants une fois de plus. 

Arrivé chez moi titubant, ma petite fille, gymnaste à ses heures, m’a fait une démonstration de grand écart dans le salon.

Je suppose que c’est à ce moment là que je suis tombé dans les pommes.

2 commentaires:

deuBleuDi a dit…

:) un grand sourire de bon matin, a mon avis vaut mille fois mieux qu'une seance de yoga :) merci 'eric' :)

Aude Doiderose a dit…

Comme je te comprends, étant moi même souple comme un miroir…
Mais d'un autre côté tu as pu expérimenter le bien fondé du proverbe "le ridicule ne tue pas" (il blesse par contre).
"Ne renonce pas pour autant petit scarabée" aurait dit le sage guru de la série TV de mon enfance.